Samedi 27 janvier 2007
Maman
vient de repartir…me voilà dotée d’un nouvel ordinateur, d’une bonne cinquantaine
de dvd et de quelques jeux comme « theme hopital » (le comble
pour quelqu’un d’enfermé dans une clinique !) De quoi m’occuper pour ces 3 mois minimum
d’hospitalisation…
Comment
j’en suis arrivée là me direz-vous ?
Et
bien pas vraiment d’explication si ce n’est une tentative d’exister en tant que
femme, tentative qui s’avère être (après 3années d’expérimentation) plus que
catastrophique. A toutes les jeunes filles qui tenteraient de passer au statut
de jeune femme par ce biais : ce n’est pas une solution durable, elle mène
tôt ou tard vers le néant…vivre par la destruction de soi n’est pas un réel
moyen de vivre ; croyez-en ma vieille expérience ! Je dois
reconnaitre que l’anorexie m’a permis de me sortir de ma crise d’adolescence
qui fut une réelle dépression, mais à quel prix ? Je dois aujourd’hui me
reconstruire, on pourrait même dire : me construire. Chercher qui suis-je
vraiment, ce que j’aime, sur quoi je peux m’appuyer : les points forts qui
construisent la vraie Claire. Tout simplement les piliers d’une identité. Ca me
prendra surement pas mal de temps, mais je me sens prête aujourd’hui à relever
ce défis, parce que premièrement j’aime la vie (ce si beau cadeau que m’a
donné ma maman) et puis parce que j’ai déjà gâché presque 4 ans en essayant
d’être moi, ne faisant que me supprimer, m’auto- censurer par l’interdiction de
tout plaisir.
La
recherche d’une perfection, de coller à l’image de ce frère que je considérais
comme parfait. Vouloir toujours satisfaire, être à la hauteur d’exigences (pures
fictions de mon imagination pour tenter de coller à l’image de perfection que
je croyais être la volonté de mon père), et une perpétuelle faim ! Une
faim de je ne sais trop quoi…aujourd’hui je dirais faim de vie, faim d’amour
surtout. De nombreuses pistes à explorer durant ce temps qui m’est aujourd’hui
accordé.
20h34
Repas
terminé…Servi à 18h30 : insupportable. Je ne dirais pas que je n’ai pas
faim parce que cette faim je ne veux pas l’écouter. Je ne sais pas sur quoi
elle est basée et elle me ronge, je l’étouffe, elle m’effraie : je ne la
maitrise plus depuis que je suis ici, depuis que je ne peux plus me remplir
d’eau, depuis que je ne peux plus penser à autre chose qu’à ce corps qui me
réclame son carburant. Les éléments pour me la faire oublier ont redoublé
depuis que je suis dans ces murs car il n’y a plus l’eau…couper en plus petits
morceaux cette nourriture que je refuse mais que tout mon être réclame, poivrer
et encore poivrer, toujours faire durer le repas pour oublier. Je mange en
lisant et en regardant la télé pour ne pas trop réfléchir.
Je
suis pitoyable mais je ne peux pas faire autrement car la faim est
insupportable. Je ne peux pas manger…c’est si douloureux pourtant !
J’arrive
à finir mes plateaux depuis peu : 25 gr de légumes, 25 gr de viande
blanche ou poisson et un fruit. Le blocage n’est pas tant sur la quantité vu
que j’ai faim mais sur le symbole. Je n’ai pas le droit de finir, je ne me
donne pas le droit, sinon je me sens faible et grosse…Et puis il y a cette peur
de grossir trop vite, de voir ce poids s’envoler, ne plus contrôler. C’est dur
d’abandonner ce sur quoi je me suis construit. Un jour ma mère m’a
demandé ce que ca changerait si je me mettais à manger comme tout le
monde, une seule question m’est venu à l’esprit : « Comment
vais-je faire ? Comment vais-je vivre ? » Paradoxale me diriez
vous, puisque manger est la base même de vivre …
La
sonde gastrique. La voilà qui me pend au nez .Une semaine et demi que je
suis ici, je n’ai pas pris un gramme (à vrai dire j’en ai même perdu 800 parce
que je pensais que je pourrais continuer ma chute, mon trip…) vu que je
n’arrivais pas à finir mes plateaux le Dr D. m’a mis l’ultimatum de la
sonde : poches de 500Kcal deux fois pas jours…Nourris par un tuyau :
JAMAIS ! JE NE VEUX PAS ! J’aime manger, je n’ai jamais été dégouté par les aliments, bien au contraire.
Des fois je me demande si je ne suis pas un peu maso ! Ainsi, la
motivation de ne pas avoir cette sonde m’a donné la force de finir mes
plateaux : quitte à prendre 1000Kcal par jour autant que ce soit par voix
naturelle. En outre je ne veux en aucun cas prendre trop vite. Gil un patient
d’ici qui a eu directement la sonde prenait près d’un kilo par jour avec ce
foutu spaghetti…
21h
L’heure
de la collation. ½ ressource crème au chocolat, complément alimentaire
obligatoire pour ralentir mon auto destruction musculaire ! Oui je vis sur
mes muscles, sur mes os, sur mon cœur, mes poumons, mon foie…Je me dévore toute
seule, je me vide, je me ronge, je me bouffe. Aujourd’hui je dois me battre et
vivre, manger pour vivre !